HÉRÉDITÉ - Il y avait la transmission classique de traits et caractères héréditaires, l'histoire de Gregor Mendel, le moine du XIXe siècle étudiant des pois colorés, et par cela, définissant les lois de l'hérédité.
Mais depuis peu, on comprend que l'environnement peut modifier le degré de fonctionnement des gènes, sans en changer la séquence ADN. Il ne s'agit plus de génétique et de mutations, mais d'épigénétique.
La modification épigénétique à l'heure actuelle la mieux caractérisée, est une modification chimique de l'ADN qui change son degré de "lisibilité", donc permet ou non le fonctionnement des gènes concernés.
Le fonctionnement des gènes peut varier selon les changements dans l'environnement. Et en plus, ces modifications sont transmissibles au travers des divisions cellulaires, mais aussi, pour certaines, au travers de quelques générations.
L'histoire des pois s'en trouve donc bien compliquée: l'environnement sous toutes ses formes, ou presque, semble pouvoir être traduit en modulation de fonctionnement des gènes.
Un imbroglio génético-épigénétique...
On explore alors l'effet de l'environnement, sous forme de polluants, de stress psychologique, d'alimentation, de mode de vie et autres, sur ces marques chimiques dans le génome.
Mais c'est la perplexité, lorsque les premières études sur les rongeurs rapportent, en 2005, des modifications épigénétiques transgénérationnelles suivant certaines expositions à des toxiques. Après une exposition à un pesticide, on retrouve des traces épigénétiques jusqu'à 4 générations en aval. On prend alors la réelle mesure de la complexité du phénomène.
Moments d'effarement: va-t-on voir émerger beaucoup plus fréquemment certaines affections à cause du mode de vie de nos ancêtres, ou du notre? Le tabac, le DDT, les disrupteurs endocriniens... Subir les conséquences, bonnes ou mauvaises, de ce qu'on vit, c'est une chose. Mais risquer de les transmettre ensuite, c'en est une autre.
On pense à l'affaire du Distilbène, qui a récemment fait parler de ce type de problématique: non seulement les filles des femmes ayant pris du Distilbène pendant leur grossesse présentaient des malformations de l'utérus et autres problèmes, mais il était publié en 2011 par l'équipe de Charles Sultan à Montpellier, qu'à la génération suivante, les petits garçons présentaient bien plus fréquemment des malformations uro-génitales.
Une transmission mère-fils, alors que c'est la grand-mère qui a pris la substance? On évoque là aussi des modifications épigénétiques et leur transmission
.http://www.youtube.com/watch?v=bBp3JVLAudc
Du côté des neuroscientifiques, on y pense aussi
Le groupe de recherche de Michael Meaney, à l'université canadienne McGill, a publié en juillet 2012 dans les Archives of General Psychiatry, que les individus ayant subi des abus dans l'enfance présentaient des modifications épigénétiques spécifiques dans l'ADN extrait des neurones, pour différents gènes.
Une trace biologique d'un stress psychologique?
Cette même équipe avait déjà décrit que des différences dans comportement maternel, chez des rongeurs, pouvait modifier les marques épigénétiques de leurs bébés, dans des gènes impliqués dans la réponse au stress.
Un rôle des bons ou mauvais soins maternels sur le cerveau des bébés?
On voit apparaitre derrière ces hypothèses des raccourcis dangereux: il ne s'agit pas d'un destin mais d'une mesure d'une cause et d'une marque biologique, celle-ci heureusement démontrée réversible par ces mêmes travaux.
Faisant un pas de plus dans ces explorations, une équipe américaine publie en août 2012 dans la revue Biological Psychiatry, que chez les souris, l'exposition au stress social durant une période comparable à celle de l'adolescence chez l'humain, peut induire des modifications durables du comportement (anxiété). Modification également des taux d'hormone de réponse au stress (corticostérone).
On pouvait s'y attendre. Mais bizarrement, les mesures comportementales montrent que femelles exposées sont plus anxieuses que les mâles exposés. De plus, en explorant ensuite la descendance des souris, stressées ou non, une étonnante observation: une transmission de cet état anxieux à la génération suivante (2ème génération), mais uniquement aux femelles, et non aux mâles. Et encore à la génération suivante (3ème génération), seules les femelles manifestaient cet état anxieux.
Gregor Mendel (1822-1884)
Curieuse inégalité des sexes.
Un imbroglio génétique? Ou épigénétique? Ou comportemental? Difficile de comprendre. Car il faut encore ajouter que le fond génétique peut modifier la réponse épigénétique.
Quoi qu'il en soit, une notion essentielle à garder à l'esprit: les marques épigénétiques sont potentiellement transmissibles, mais aussi potentiellement réversibles. Une possible résilience biologique.
Alors n'entrons pas dans le raccourci dangereux de penser un déterminisme dicté par l'environnement: il y a justement une marge de manœuvre pour que les devenirs les plus divers soient toujours possibles.
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